Meurtre à Dancé (Episode 9)


De son côté, les larmes aux yeux, Adeline accusa le coup. Cela faisait beaucoup de problèmes en même temps. La veille, Steven avait été victime d'un accident avec le tracteur et ils avaient passé la fin de la journée et une partie de la soirée à l’hôpital. Il devait maintenant travailler dans la ferme avec le pied dans une attelle, ce qui lui compliquait la vie. Mais des choses inexpliquées leur étaient aussi arrivées. D’abord, le ru à sec mystérieusement depuis quinze jours, puis leurs bêtes empoisonnées. Quelqu’un leur voulait-il du mal ? Certes, ils avaient refusé de revendre leurs terres malgré des propositions alléchantes et insistantes de leurs voisins, mais elle ne pouvait pas croire que ces derniers iraient jusqu’à les mener à la faillite. Elle en parla avec son mari qui lui fit comprendre qu’elle devenait paranoïaque et qu'aucun ennemi ne leur voulait du mal. D’ailleurs, avaient-ils reçu des lettres de menace ou de revendications ? Elle reconnut que non. Mais les arguments de Steven ne lui enlevèrent pas de la tête l’idée qu’ils ne jouaient pas de malchance. La naïveté et le manque de curiosité de Steven la surprenaient. Elle n’arrêtait pas de le tanner pour qu’il essaie de comprendre pourquoi le ru se retrouvait à sec. Il lui répondait que, oui, il allait s’en occuper, mais comme il pouvait tirer de l’eau du bras qui serpentait de l’autre côté de l’Île pour faire boire les animaux et irriguer ses champs, il estimait que d'autres tâches plus prioritaires l'attendaient.
Le sujet la préoccupait vraiment, surtout lorsqu’elle reçut le lendemain, par la poste, un message anonyme un peu angoissant : « JE SAIS TOUT. TON AMANT EST UN IGNOBLE MAITRE-CHANTEUR, S’IL NE CESSE PAS, TU LE PAIERAS CHER ». Elle crut qu’elle allait s’évanouir. Elle s’effondra sur un fauteuil en larmes. Heureusement qu’elle avait été seule au moment où elle avait lu la lettre. Elle se mit à douter. Les choses ne semblaient donc pas aussi simples qu’elle le pensait. Qu’est-ce que Jacques avait bien pu faire pour qu’on s’attaque à elle afin de l'atteindre, lui ? Elle réalisa qu’elle ne savait pas grand-chose sur lui. Elle ignorait comment il occupait ses journées, pourquoi il possédait tant d’argent. Elle s’était toujours dit qu’il avait touché un bel héritage lors de la mort de son père, sans plus se poser de questions. 
La lettre faisant clairement allusion à son amant, elle ne la montra bien évidemment pas à son mari. Elle alla voir, en revanche, Jacques. Ce dernier se figea en découvrant le message, puis se reprit, et hocha la tête d’un air dubitatif. Il lui donna l’impression de prendre la chose à la légère, ce qui lui déplut profondément :
- Je ne pense pas que cela ira plus loin. A priori, quelqu’un souhaite me nuire. Il s’agit peut-être d’un client mécontent qui aurait été condamné alors que j’assurais sa défense. Il a dû savoir, par une indiscrétion, que nous étions devenus amants et il veut s’en servir contre moi. Alors il raconte n’importe quoi. Il y a des malades partout.
Il lui lança son plus beau regard et lui dit doucement :
-  Tu penses bien que je ne suis pas un maître-chanteur, voyons !
Elle lui répondit ce qu’il attendait, mais sans en être vraiment persuadée.
- Je te crois, Jacques. Mais ne prends pas ça à la légère. Si pour toi, ce n’est peut-être pas important, cela l’est pour moi. Je te rappelle que je suis mariée.
- Oui, ne t’inquiète pas. Je vais régler cela. De plus, nous devons nous conduire plus prudemment à l’avenir, nous nous rencontrerons dans un autre endroit, un peu plus loin, à Brou par exemple.
Il la regarda de nouveau :
- As-tu parlé de notre relation à quelqu’un ?
- Non ! Bien sûr que non, voyons !
La réaction de l’avocat la laissa perplexe. Quelque chose ne tournait pas rond. Il avait insisté pour garder la lettre. Pourquoi ? Si ce n’était pas grave, il n’y aurait pas accordé tant d’importance. Ne lui cachait-il pas quelque chose ? Elle imagina qu’il ne souhaitait pas l’alarmer en lui faisant part de ses craintes.
Quand elle constata l’inaction de son mari et de son amant, la jeune femme alla enquêter elle-même pour comprendre pourquoi il n’y avait plus d’eau dans le ru. Elle profita d’un bel après-midi pour partir en promenade et remonter à sa source. Elle y arriva rapidement. Elle s’aperçut qu’un obstacle, qui n’avait rien de naturel, avait été créé avec des arbustes sciés vite fait aux alentours et entassés en milieu de la rivière. Le ru était de petite taille, le boucher n'avait pas dû être compliqué. Le barrage avait été construit juste au moment où le bras de la Chêvre se scindait en deux. Toute l’eau se déversait dans le passage qui contournait l’Île. Le débit était donc un peu plus important que d’habitude, mais comme c’était l’été, personne n’avait rien remarqué.
Profondément troublée par ce qu’elle venait de constater, elle alla chercher son mari qui travaillait dans les champs et le traîna, sans attendre, sur les lieux. Elle atteignait presque l’hystérie.
- Tu vois que je ne suis pas paranoïaque…