Meurtre à Dancé (Episode 8)


6 — La rencontre d’Adeline et de Jacques


1968


Jacques de La Flandrière avait rencontré, pour la première fois, Adeline Portman à son cabinet. Elle était venue avec son mari, Steven, le consulter pour une affaire d’escroquerie. Dès qu’elle pénétra dans son petit bureau sombre au mobilier démodé, Adeline lui plut. Blonde avec des formes généreuses, jeune, bonne vivante, elle correspondait à sa femme idéale. Au départ, il ne se fit aucune illusion. Steven était à peine plus vieux qu’elle et possédait un physique d’Apollon. Lui, avec sa calvitie naissante, ses lunettes et son ventre – les seuls sports qu’il pratiquait étaient la pétanque et la chasse –, ne pouvait pas faire le poids. Cependant, il se ravisa vite. Sa cause n’était peut-être pas si désespérée que cela. Les amoureux ne paraissaient finalement pas si unis. Leurs avis divergeaient souvent. Le ton entre eux était un peu froid et surtout, ils ne se regardaient pas franchement dans les yeux. Des tensions existaient au sein du couple et le mal-être d’Adeline transparaissait au bout de quelques instants.
Il l’avait vue à nouveau au marché de la place Saint-Pol à Nogent-Le-Rotrou. Il se dit que le destin lui envoyait un signe et il fréquenta alors assidûment l'endroit, chaque samedi matin, dans l’espoir de la rencontrer une nouvelle fois. Elle venait toujours toute seule. Elle tenait son étal en vraie professionnelle, haranguant le client, disposant avec soin ses produits. Il la trouvait belle. Sa tenue ne la mettait pas particulièrement en valeur, le lieu ne s’y prêtait pas, mais ses cheveux bien peignés, son visage maquillé et sa voix un peu rauque le faisaient frémir. Il réalisa qu’il était en train de tomber amoureux.
De son côté, elle avait remarqué l’avocat. Il ne l’intéressait pas plus que cela. Mais savoir qu’elle était l’objet de son désir la flattait. Elle répondit petit à petit à ses discrètes avances, à aller boire un verre avec lui après le marché, plus par jeu que par conviction. Cela lui plaisait qu’on la trouve belle et spirituelle. Par comparaison, elle se rendait compte que sa situation avec Steven s’était énormément dégradée et que son mari la considérait mal. Jacques devint son confident, le seul à qui elle pouvait tout dire.
Ils se mirent à se voir en secret et, le temps passant, leur amitié évolua de manière équivoque, avant qu’ils ne finissent amants. Adeline n’était pas tombée amoureuse, contrairement à Jacques, mais cette relation la divertissait et la changeait de son quotidien pas toujours facile à la ferme.

7 — Les Portman ont des ennuis


1969


Steven avait réussi avec bien des difficultés à obtenir quelques subsides de sa famille et avait investi dans une dizaine de vaches à lait qu’il laissait brouter dans la pâture qui longeait leur maison. Ils avaient acheté cinq chevaux du Perche. Un coq, quatre poules, cinq ou six chèvres et huit moutons complétaient le cheptel. Le fermier avait également planté du blé et du maïs. Il vivotait avec sa femme en vendant au marché le lait, les œufs, du fromage et de la laine. Adeline, quant à elle, s’occupait du potager pour leur consommation personnelle et écoulait les surplus à Nogent avec ses récoltes de prunes, mirabelles ou pommes.
Ils trouvaient petit à petit un équilibre. Ils ne perdaient plus d’argent, mais n’arrivaient pas non plus à économiser. Les nouveaux venus commençaient à croire qu’ils allaient pouvoir s’en sortir. Leur rêve devenait réalité.
Leur optimisme en prit un coup, un matin de mai. À l’aube, comme chaque jour, Steven fit sa tournée des bêtes pour les nourrir et traire ses vaches. Ce qu’il découvrit alors l’affola. Presque toutes ses chèvres et ses moutons étaient allongés sur le sol, morts ou en train de convulser. Instantanément, il comprit qu’il était confronté à un problème d’empoisonnement, un grave problème. Il utilisait de l’AVK comme mort-aux-rats. Avait-il commis une erreur et contaminé ses animaux ? L’AVK est un anticoagulant qui tue les rats en quelques jours. Il pensa à l’eau, les bêtes touchées possédaient un abreuvoir commun. Il eut peur que celles encore saines ne s’empoisonnent aussi et jeta l’eau dans le puits dont il ne se servait plus, car il était à sec depuis quelques semaines. Il se priva ainsi d’une belle preuve. Il n’imagina pas un instant un geste mal intentionné, persuadé que l'erreur venait de lui. La veille au soir, il s’en était occupé alors qu’il faisait nuit, il était plus de deux heures du matin, il était fatigué, il avait dû se tromper. Quelle catastrophe !