Meurtre à Dancé (Episode 10)
Steven s’approcha calmement du barrage. Il sursauta. Manifestement, Adeline avait raison. Ces arbres n’étaient pas tombés là par
hasard. Aucun doute à ce sujet. Il se décomposa, ses lèvres tremblèrent. Il bégaya :
- Je ne comprends pas… Pourquoi ? Qui aurait intérêt à nous vouloir du mal ?
Il se tourna vers sa femme :
- Tu penses donc que nos animaux n’ont pas été tués par erreur ?
- En effet. Je ne vois pas quelle erreur t’aurait conduit à mettre de la mort-aux-rats ou ton herbicide dans l’abreuvoir à 2 heures du matin. Non ! Je suis persuadée qu’on est venu verser un
poison dans l’eau pour éliminer nos bêtes et nous effrayer. Cette personne a fait cela, car elle a pu se rendre compte que nous ne paniquions pas du tout lorsqu’un des bras du ru s’est asséché.
Elle est donc passée à la vitesse supérieure.
- Mais qui peut nous détester à ce point ?
- Je ne sais pas. As-tu rencontré des problèmes dont tu ne m’aurais pas parlé ?
- Non, je te promets.
- Peut-être que les gens du coin souhaitent nous effrayer pour que nous partions afin de récupérer nos terres ?
- Je veux bien admettre que cela les arrangerait, mais de là à nous nuire ? C’est un cap à franchir, non ? Et puis pourquoi n’avons-nous pas reçu de revendications ?
Cette fois-ci, son mari lui demanda de prévenir la gendarmerie. Elle alla les voir immédiatement même si elle ne parla pas des menaces anonymes. Les enquêteurs constatèrent qu’il y avait une
volonté de causer du tort, que les bêtes avaient bien été empoisonnées à l’AVK, mais l'avertirent de la faible probabilité de retrouver le ou les individus qui avaient fait cela, faute d’indices.
Cela ne la surprit pas. Rapidement, l’affaire tomba aux oubliettes, un crime bien plus passionnant, à Nocé, le village voisin, occupant le juge Verrier, en charge de l’instruction. À son grand
soulagement, plus rien d’anormal ne se passa ensuite. La jeune femme se rassura en se persuadant que la personne mal intentionnée avait eu vent de leur plainte et voyant qu’ils prenaient les
choses au sérieux et ne comptaient pas partir, avait arrêté ses actes malveillants.
8 — L’enquête du juge Verrier
1969
La canicule était tenace en ce mois de juillet 1969. Adeline n’arrivait pas à trouver le sommeil. La nuit
était tombée, mais les températures ne descendaient pas sous les 28 degrés. À presque 23 heures, la jeune femme lisait tranquillement, les fenêtres grandes ouvertes pour essayer de rafraîchir un
peu la maison. Cela faisait des jours maintenant qu’il n’avait pas plu. Steven était parti jouer aux cartes chez des amis. Elle était seule et savourait ce moment de quiétude.
Alors qu'elle allait s’endormir, elle fut incommodée par de la fumée, une épaisse fumée noire, puis une odeur forte et âcre. Elle sortit de chez elle en courant, craignant le pire ! Elle
découvrit la grange en feu dans les dépendances en face de sa propre habitation. Prise de panique, plus par réflexe que par espoir d’attendre une quelconque réponse, elle hurla : « Mon Dieu ! Mon
Dieu ! À l’aide ! Au secours ! »
Du fourrage et du foin étaient entreposés à l’étage en grosse quantité pour faire face à l’hiver. Il faisait très chaud et sec depuis longtemps, tout brûlait vraiment très vite.
Adeline se précipita chez elle pour appeler les secours, mais son téléphone resta muet. Plus aucune tonalité. Là, elle eut peur, vraiment peur, pour sa propre sécurité. Elle pensa à des choses
horribles. Peut-être que celui ou celle, qui leur en voulait, la voyait en ce moment ? Allait-il aussi s’en prendre à elle ? Impossible de prévenir rapidement les pompiers. Comment faire ? Ils
risquaient de tout perdre.
Elle ne s’attarda pas. Impossible d’éteindre l’incendie avec ses seaux. Elle courut jusqu'à la ferme voisine située à deux cents mètres de là, donner l’alerte. Personne ! Peut-être les Laplace
étaient-ils sortis en cette belle soirée d’été ?
Elle revint chez elle à toute vitesse, s’apprêtant à repartir en voiture pour aller demander de l’aide au village quand, à son grand soulagement, elle vit un camion de pompiers arriver à toute
allure. Leur citerne était pleine, mais cela ne suffit pas. Petit à petit, tous les camions disponibles sur Nogent, Rémalard et Berd’huis vinrent à la rescousse, mais ils ne purent que
circonscrire l’incendie, l’empêcher de se propager dans la maison ou dans la dépendance mitoyenne où du matériel agricole était entreposé. La grange fut perdue.
On partit chercher Steven qui, voyant les dégâts, ne réagit pas, en état de choc. Il n’arrêtait pas de secouer la tête d’un air ahuri et de dire qu’il ne comprenait pas. Adeline sut, à ce
moment-là, qu’elle devrait affronter cette nouvelle épreuve seule.
Les gendarmes se rendirent sur les lieux et une fois encore, elle porta plainte. Ils prirent l’affaire au sérieux quand elle leur expliqua, le lendemain matin, que les quatre pneus de sa voiture
avaient été lacérés pour l’empêcher de trouver des secours. Les enquêteurs confirmèrent que la ligne de téléphone de la maison avait été coupée sciemment pour la même raison. L’origine criminelle
de l’incendie ne faisait aucun doute.
Elle avertit également Jacques et partagea avec lui sa vive inquiétude. Elle avait très peur pour eux deux.
Il blêmit, laissa un long moment de silence planer, son regard se durcit et il lui déclara, d’une voix rauque :
- Je vais examiner deux ou trois pistes. Je vais tâcher de régler ce problème bientôt. Crois-moi.