Meurtre à Dancé (épisode 1)

 

1 — Le journal d’Édith Delafond

 

2013

 

Aline Deville était ennuyée. Elle avait réfléchi toute la nuit à ce qu’il convenait de faire. Une question l’obsédait : qu’est-ce que Mme Delafond aurait souhaité ? D'autres interrogations la taraudaient : pourquoi sa patronne et amie ne lui avait-elle pas laissé d’instructions comme elle en avait l’habitude ? À qui devait-elle confier sa trouvaille : à son avocat ? Son éditeur ? Ou la police ? Elle avait beau regarder l’un des portraits de la célèbre romancière posé sur le secrétaire de son bureau, cette dernière était bien incapable de lui apporter les réponses qu’elle cherchait. Elle avait, en plus, l’impression qu’Édith la narguait. Une autre photographie la montrait souriante, avec ses immenses yeux bleu clair qui pétillaient et ses longs cheveux gris retenus en chignon. Grande et mince, elle se tenait très droite même si le cliché avait été pris alors qu’elle avait 85 ans passés. Elle n’avait jamais paru son âge.
À six heures du matin, après une insomnie épuisante, la vieille fille de 70 ans, fidèle et dévouée employée de feue Mme Delafond, se décida enfin à agir. Trois heures plus tard, elle téléphona à Emma Latour et lui expliqua la situation. Emma comprit pourquoi l’assistante d’Edith était si perturbée.
- Je vois très bien de quoi vous parlez, Aline.
Emma devait être la seule personne à part ses parents – paix à leurs âmes – à l’appeler par son prénom. La jeunesse d’Emma lorsqu’elle était arrivée au Moulin lui avait permis cette familiarité exceptionnelle qu’elle avait conservée des années plus tard.
- J'ai tapé et corrigé ce manuscrit.
L’assistante d’Édith Delafond ne put masquer sa surprise. Emma la rassura.
- Je vous rassure, Edith n'a pas agi de la sorte par manque de confiance envers vous. Elle m’a demandé de l’aider, parce que, comme vous avez pu vous en apercevoir, j’ai été présente au moment des événements relatés dans ces pages et Édith a souhaité que je lui fasse profiter de ma mémoire des événements.
Oui, en effet, Aline se rappelait bien de l’installation de sa patronne à Dancé début 1992. Elle ne l’avait rejointe qu’un an plus tard : d’une part, parce que son logement sur place n’avait été prêt qu’à la fin de 1993 et d’autre part, parce qu’elle avait dû rester à Paris pour traiter les nombreuses affaires en cours d’Édith. Elle savait pertinemment que des choses graves s’étaient passées pendant ce laps de temps. Personne ne l’avait mise dans la confidence et elle n’avait pas posé de question. Maintenant, il lui semblait important d’obtenir la réponse à deux interrogations :
- Est-ce que ce qui est raconté dans ce manuscrit est véritablement arrivé ?
- Édith souhaite laisser au lecteur une libre appréciation du contenu de cet écrit.
Aline sourit en secouant la tête et n’insista pas davantage. À son grand désarroi, elle en conclut que les faits devaient être véridiques, mais que la romancière souhaitait ne pas créer un scandale, ce qui se comprenait. Elle respecterait son vœu.
- Désirait-elle que cette histoire soit publiée ?
- Oui, mais après sa mort, si je donnais mon accord.
- Et, vous êtes d’accord ?
- Oui. Je n’y vois aucune objection tant que mon nom n’apparaît pas sur la couverture. On ne doit pas apprendre que j’ai participé d’une manière ou d’une autre à l’écriture de ce livre.
- Je comprends. Le manuscrit a été écrit de façon à ce que nous pensions qu’Edith l’a écrit seule. La question de votre rôle dans sa création ne se posera donc pas. Votre souhait sera respecté. Sachez qu’Édith a laissé des consignes vous concernant...